Un short-snorter pour cinéphiles

   Un tel titre mérite quelques lignes d'explications… On regroupe sous le terme short-snorter plusieurs sortes de souvenirs créés par les militaires durant la Deuxième Guerre Mondiale – et plus particulièrement américains dans la Guerre du Pacifique – à partir des billets de banque en circulation dans les pays où ils étaient stationnés durant le conflit.

   Le concept du short-snorter n'est pas très clairement défini, mais à l'origine, il semble que, selon une coutume anglo-saxonne, quand deux amis étaient sur le point d'être séparés par les hasards de la vie, ils inscrivaient chacun leur nom sur un billet de banque. Celui-ci était alors déchiré en deux, chacun conservant la moitié portant la signature de l'autre, dans l'espoir d'avoir la chance de se retrouver un jour et de pouvoir réunir les deux parties – le billet reconstitué pouvant alors éventuellement servir à régler les bières qui ne manqueraient pas de fêter l'événement.
Durant la dernière guerre, une autre manière de procéder, un peu moins sentimentale, était la suivante : à son arrivée dans un bar fréquenté par des militaires, et en réponse à la question d'un des buveurs déjà présents :

« — Do you have your short-snorter ? », le nouvel arrivant devait pouvoir lui présenter un billet portant des signatures plus prestigieuses, ou plus nombreuses, que celles présentes sur celui de son challenger. Le perdant devait alors offrir une tournée. (To have a short snort, en argot américain, pourrait se traduire par : « s'en jeter un petit » ).

 

 

 

 

 

Short-snorter sur un billet "australien" de cent francs de 1942 émis à Nouméa, ayant appartenu à un certain Jack Bircher et daté du 18 mai 1943. 

Sa valeur faciale correspondait à environ deux dollars US

 

   Des signatures fameuses, comme celles du comique Bop Hope ou de la très plantureuse Mae West – qui passera à la postérité pour avoir donné son nom au gilet de sauvetage gonflable des aviateurs – deux des vedettes célèbres passées à cette époque en tournée à Nouméa, étaient des gages de succès garanti.

Celle du colonel du régiment aussi, mais éventuellement plus difficile à obtenir !

 

 

 

 

 

 

 

 

Mrs. Eleonora Roosevelt, l'épouse du président, durant une séance de signature de short-snorters à des militaires, en mars 1944

  

   Le plus fameux short-snorter connu (le king des short-snorters !), sur un billet anglais de 10 shillings, reste certainement celui de Harry Hopkins, alors conseiller du président Roosevelt, sur lequel on trouve, parmi d'autres, les signatures suivantes : le général Patton, Lord Mountbatten, Winston Churchill, Averell Harriman, Anthony Eden, le général Eisenhower, le général Vanderburg, le président Franklin D. Roosevelt, etc.

Ces signatures avaient été réunies par Hopkins, lors de la conférence de Casablanca en 1943. N'y manquent que celles des généraux français De Gaulle et Giraud, qui restaient probablement dans leur coin en se regardant en chiens de faïence (à moins qu'Hopkins ait oublié de leur demander de signer).

   Les aviateurs, quant à eux, selon une coutume qui leur était propre, avaient mis au point une version élaborée du short-snorter qui consistait à coller bout-à-bout des billets de banque, en prenant un exemplaire d'un billet de chacun des pays dans lesquels ils s'étaient posés, et d'en faire un rouleau. Le vainqueur était celui qui était capable, quand le défi lui en était lancé au « bar de l'escadrille », de dérouler le plus long :

 

 

 

 

 

 

Un short-snorter version "aviateurs". Son propriétaire (l'Américain au blouson de cuir) semble en être très fier !

 

  

   Voici donc enfin, extrait de ma collection, mon short-snorter favori : il s'agit d'un billet de 5 francs de la succursale de Nouméa de la Banque de l'Indochine couvert de signatures autographes, acheté sur eBay et reçu d'un vendeur de Corée (du Sud, bien entendu !) :

 

 

   À l'ouverture de l'enveloppe, dans le local des boîtes postales, il m'avait bien semblé déchiffrer, tout en bas, une signature pour le moins inattendue dans un contexte militaire : " Katherine Hepb--- " !

La première surprise passée, cela me fut effectivement confirmé par une recherche sur " Google images ", bientôt suivie de la reconnaissance de nombreuses autres signatures de vedettes américaines célèbres (du moins à cette époque) :

 

 

  L'auteur de cet extraordinaire short-snorter a visiblement commencé sa collection d'autographes sur un billet de Nouméa, où il était alors stationné, et a probablement fait signer une des nombreuses vedettes qui visitaient alors les bases arrières où les soldats récupéraient en " R&R " (Rest and Recreation), après leurs périodes de combat au front. Il a probablement continué sa collection par la suite sur le continent américain, car il paraît peu vraisemblable que tous les signataires soient passés par Nouméa à cette époque.                                                                                  

Jicé                

    PS. : il reste six signatures à déchiffrer... avis aux amateurs !


Écrire commentaire

Commentaires: 2
  • #1

    PALOMBO (samedi, 09 juillet 2016 17:51)

    Bravo pour l'actualité du baroudeur impénitent du signataire. En particulier, ces billets de banque servant de messagerie aux signataires jetés comme une bouteille à la mer.

  • #2

    durande maryse (jeudi, 11 août 2016 02:10)

    Je connais parfaitement l'engouement de Jean-Claude pour tout ce qui touche de près ou de loin à l'opium !
    Mais pourquoi ne faites-vous pas mention, sur votre site (il est très bien !) de vos brocantes et autres antiquités ?
    Très cordialement
    Maryse